L'Archiduc du Trio Sōra dans la prison dorée du Châtelet - Bachtrack

Tristan Labouret • déc. 18, 2020

"On se réjouissait de reprendre enfin le chemin des concerts quand le couperet sanitaire est tombé, prolongeant la fermeture des salles. Parmi les innombrables victimes de cette décision qui a surpris les acteurs du spectacle vivant, le Théâtre du Châtelet avait annoncé une série de concerts plus emballants les uns que les autres pour sa réouverture, dont une soirée en compagnie de la révélation de cette année Beethoven : le Trio Sōra, dont le premier (double) album consacré à l’intégrale des trios du grand Ludwig s’est récemment attiré une pluie d’éloges médiatiques. L’ensemble devra donc attendre pour transformer l’essai discographique en succès public, mais il a pu malgré tout se produire en concert à huis clos, le Châtelet ayant converti ses productions de décembre en captations vidéo sur son site web.

C’est donc un théâtre fantôme que traversent la poignée de journalistes accueillis pour former un semblant de public. Scène déserte, grande salle vide, silence de plomb. Le Châtelet était autrefois une prison, aujourd'hui cela ne vaut guère mieux. Direction le foyer, aménagé en plateau de tournage. Les trois musiciennes ont pris place au centre de ce décor doré, une maquilleuse apporte les dernières retouches avant que le top départ ne soit donné. Sans public pour l’amortir, l’acoustique généreuse du lieu brouillera légèrement les détails des partitions (notamment les violents contrastes beethovéniens) mais la diffusion n’en laissera rien paraître ; la prise de son poussera même le curseur un peu trop loin dans le détail et trop peu sur le couple principal de micros, échouant à rendre véritablement compte de la fusion à l’œuvre quand les Sōra conjuguent leurs énergies.

C’est pourtant la qualité qui frappe le plus dans ce trio constitué : quand il s’agit d’unir leurs forces face au piano ultra solide de Pauline Chenais, les archets de Clémence de Forceville et d’Angèle Legasa sont exemplaires, adoptant la même intensité dans le timbre, la même vitesse de vibrato, les mêmes formes de notes pour produire l’impression d’un seul et même extraordinaire instrument à huit cordes. À l’autre extrémité du spectre des dynamiques, même constat : violon et violoncelle n’hésitent pas à adopter des couleurs transparentes dénuées de vibrato pour se fondre en un murmure. Le même jeu d'imitation sert à merveille les nombreux moments de contrepoint, et quand Beethoven inverse les rôles habituels dans son Trio opus 97 « à l’Archiduc », renvoyant parfois le violon dans son registre grave tandis que le violoncelle prend le thème, les Sōra s’adaptent un un clin d’œil, Clémence de Forceville pesant sur sa corde de sol tandis qu’Angèle Legasa s’élance dans des aigus limpides.

En première partie, le Trio opus 11 de Fanny Mendelssohn a surtout mis en évidence les qualités individuelles des trois musiciennes, leur capacité à transformer leurs mélodies instrumentales en lignes vocales chargées d’expressivité, tandis que Pauline Chenais épate par sa virtuosité tranquille sur le clavier. Ce sera une constante jusque dans le très ardu « Archiduc », dernière œuvre jouée publiquement par Beethoven lui-même avant qu’il ne renonce à se produire en raison de sa surdité grandissante : la pianiste franchit aisément les innombrables difficultés techniques mais sans se complaire dans sa maîtrise des éléments. Droite et discrète dans sa gestuelle, réceptive au moindre mouvement de ses partenaires, Pauline Chenais est aussi à l’écoute de son Steinway, instrument dont les aigus claquent un peu dans l’acoustique généreuse du grand foyer, mais la musicienne tend l’oreille, prend le temps de faire résonner les chorals des mouvements lents, allège ses arpèges pour laisser passer ses comparses et s’impose quand il faut pour les pousser dans leurs retranchements.

Il y a une importante dimension ludique dans le style des Sōra (qui transparaît notamment dans le remarquable scherzo et le finale de « L’Archiduc »), des échanges de regards qui témoignent d’une volonté complice sous l’œil des caméras du grand foyer. Cette théâtralité est d’autant plus louable dans les circonstances actuelles ; non seulement parce que se produire dans des conditions plus proches du tournage que du concert reste inhabituel pour les artistes, mais encore parce que toute la captation s’est déroulée avec l’accompagnement bruyant des réalisateurs à quelques mètres, susurrant sans grand souci de discrétion leurs indications aux cameramen. Les micros n’ont heureusement pas capté les nombreux « Attention violoncelle ! » qui ont parfois semblé perturber la musicienne concernée… Espérons que le prochain projet des Sōra – une intégrale des trios de Beethoven en neuf concerts salle Cortot dès janvier 2021 – puisse se dérouler dans des conditions plus respectueuses du spectacle vivant, et avec l’ovation publique que méritent les trois musiciennes."

Tristant Labouret - Bachtrack, 18 décembre 2020


We were looking forward to finally getting back to the concerts when the sanitary cut-off fell, prolonging the closure of the halls. Among the innumerable victims of this decision, which surprised the actors of the performing arts, the Théâtre du Châtelet had announced a series of concerts, each more exciting than the last, for its reopening, including an evening in the company of this year's revelation Beethoven: the Trio Sōra, whose first (double) album devoted to the complete trios of the great Ludwig recently drew a shower of media praise. The ensemble will therefore have to wait to transform the discographic essay into a public success, but it was nevertheless able to perform in concert behind closed doors, the Châtelet having converted its December productions into video recordings on its website.

It is thus a ghost theater that the handful of journalists who are welcomed to form a semblance of an audience go through. Deserted stage, large empty room, leaden silence. The Châtelet used to be a prison, today it is no better. Direction the foyer, which has been converted into a film set. The three musicians have taken their place in the center of this gilded decor, a make-up artist makes the final touches before the start is given. Without an audience to dampen it, the generous acoustics of the place will slightly blur the details of the scores (especially the violent Beethovenian contrasts) but the diffusion will not let anything appear; the sound recording will even push the cursor a little too far in the detail and too little on the main pair of microphones, failing to truly reflect the fusion at work when the Sōra combine their energies.

It is, however, the quality that strikes the most in this constituted trio: when it comes to joining forces against the ultra-solid piano of Pauline Chenais, the bows of Clémence de Forceville and Angèle Legasa are exemplary, adopting the same intensity in timbre, the same vibrato speed, the same note shapes to produce the impression of one and the same extraordinary eight-stringed instrument. At the other end of the dynamic spectrum, the same observation: violin and cello do not hesitate to adopt transparent colors devoid of vibrato to blend into a whisper. The same imitative play serves marvelously the many moments of counterpoint, and when Beethoven reverses the usual roles in his Trio opus 97 " à l'Archiduc ", sometimes returning the violin to its low register while the cello takes up the theme, the Sōra adapts in the blink of an eye, Clémence de Forceville weighing down on her G string while Angèle Legasa launches into limpid highs.

In the first part, Fanny Mendelssohn's Trio opus 11 especially highlighted the individual qualities of the three musicians, their ability to transform their instrumental melodies into vocal lines charged with expressiveness, while Pauline Chenais amazed with her quiet virtuosity on the keyboard. This will be a constant even in the very arduous "Archduke", the last work played publicly by Beethoven himself before he gave up performing because of his growing deafness: the pianist easily overcomes the innumerable technical difficulties but without indulging in her mastery of the elements. Straight and discreet in her gestures, receptive to the slightest movement of her partners, Pauline Chenais is also attentive to her Steinway, an instrument whose high notes click a little in the generous acoustics of the grand foyer, but the musician is attentive, takes the time to make the chorales of the slow movements resound, lightens her arpeggios to let her companions pass and imposes herself when necessary to push them into their entrenchments.

There is an important playful dimension in the style of Sōra (which is particularly apparent in the remarkable scherzo and the finale of "The Archduke"), exchanges of glances that testify to a complicit will under the eye of the cameras in the grand foyer. This theatricality is all the more praiseworthy in the present circumstances; not only because performing in conditions closer to the filming than to the concert remains unusual for the artists, but also because the entire recording took place with the noisy accompaniment of the directors a few meters away, whispering without much concern for discretion their indications to the cameramen. Fortunately, the microphones did not pick up the numerous "Attention cello! "Let's hope that the next project of Sōra - a complete set of Beethoven's trios in nine concerts at Salle Cortot from January 2021 - can take place in conditions more respectful of live performance, and with the public ovation that the three musicians deserve.
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