Trio Sōra : "En tant que groupe de musique de chambre, la créativité est quelque chose de fabuleux et de très puissant lorsqu'elle est collective."

Fifteen Questions • nov. 17, 2020
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"Quand avez-vous commencé à jouer de votre instrument, et quelles ou quelles ont été vos premières passions et influences ? Qu'est-ce qui vous a attiré vers la musique et/ou le son ? 

Angèle : J'ai commencé à jouer à l'âge de 7 ans. J'ai grandi dans une famille d'artistes : mes parents étaient chanteurs, mon frère était danseur de ballet. J'ai donc construit mon son entre les influences vocales avec mes parents, la musique body feeling avec mon frère, tout en admirant Rostropovitch et Yo-Yo Ma ! 

Clémence : J'ai commencé le violon très jeune, et à cette époque je n'étais pas particulièrement sensible à la musique. Le coup de foudre est venu plus tard avec l'opéra, et surtout la Flûte enchantée de Mozart. L'opéra est vite devenu une passion pour moi et une source d'inspiration majeure. J'ai alors compris qu'avec le violon il était possible de reproduire la voix humaine, avec ses inflexions, que chacun avait son propre timbre et que je pouvais développer le mien. Le son d'un instrumentiste est peut-être la chose la plus importante, comme la voix d'un chanteur, et il reflète souvent notre personnalité. J'ai vu à travers mes amis et collègues comment nous jouons comme nous sommes, notre son et notre jeu sont le reflet de ce que nous sommes, c'est fascinant. Et c'est probablement le cas pour moi aussi. 

Pauline : J'ai commencé à apprendre le piano à l'âge de 3 ans, mes parents écoutaient beaucoup de musique classique, et ma mère apprenait aussi le piano, donc j'ai été intriguée par cet instrument dès le début. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu jouer du piano, c'est ma première passion. Mais je ne me souviens pas de ce qui m'a attiré, j'étais trop jeune... 

Pour la plupart des artistes, l'originalité est d'abord précédée d'une phase d'apprentissage et, souvent, d'émulation. Comment cela s'est-il passé pour vous ? Comment décririez-vous votre propre évolution en tant qu'artiste et la transition vers votre propre voix ? Quelle est la relation entre la copie, l'apprentissage et votre propre créativité ? 

Pauline : Enfant, j'ai d'abord été bercée par la musique, et plus particulièrement par la musique classique, que mes parents écoutaient beaucoup. J'ai grandi entourée par Bach, Chopin, Schubert, Beethoven, Tchaïkovski, Prokoviev, les opéras de Mozart et de Bizet, etc... Beaucoup de grands classiques, ce qui, en grandissant, m'a donné envie de rechercher aussi des répertoires moins connus. C'était une première forme d'apprentissage. 

J'ai commencé le piano très tôt, à l'âge de 3 ans. Concernant l'apprentissage du piano lui-même, j'ai un cursus très classique : professeur particulier de 3 à 7 ans, puis un cursus à horaires variables de l'école primaire au lycée (école le matin, cours au conservatoire l'après-midi) à Tours. Je suis ensuite allée au conservatoire régional de Saint-Maur-des-Fossés pour préparer le concours d'entrée au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, où je suis entrée 2 ans plus tard. J'y ai suivi de nombreux cours : piano (dans la classe de Denis Pascal), harmonie au clavier, analyse, déchiffrage et accompagnement, Technique Alexander ... Tout un éventail de connaissances pour approfondir la pratique de la musique et du piano. 

Je pense que quand on commence un instrument à un très jeune âge, comme tout apprentissage à cet âge-là, on passe par une phase de "copie" : l'apprentissage par imitation est très répandu, et ça marche très bien avec les plus jeunes. 

En apprenant, on développe naturellement sa propre vision musicale, très souvent influencée par les interprètes qu'on aime et les professeurs avec lesquels on a étudié, mais chaque personnalité étant différente, l'interprétation devient plus personnelle, dépendant naturellement de la façon dont on aborde une œuvre. 

Quels ont été vos principaux défis artistiques au début de votre carrière et en quoi ont-ils changé au fil des ans? 

Pauline : Les défis sont constamment présents dans notre profession : dès le plus jeune âge, si vous voulez entrer dans un conservatoire, vous devez passer un concours, puis des examens à la fin de chaque année, couplés à un classement des étudiants pour chaque discipline et chaque niveau. Pour ma part, le premier défi qui m'a vraiment marqué a été de réussir à entrer au Conservatoire national de musique et de danse de Paris : vouloir devenir pianiste professionnel est mon objectif depuis de nombreuses années. La première fois que j'ai participé à ce concours, j'étais trop jeune et je n'avais manifestement pas le niveau requis. La deuxième fois, j'ai passé la deuxième épreuve du concours et j'ai raté ma performance, rongé par le stress. L'année suivante, j'ai beaucoup travaillé sur moi-même, en pratiquant la sophrologie et le yoga afin de surmonter mes craintes dans ce genre de circonstances. Et la troisième fois a été la bonne ! 

Aujourd'hui, en tant que pianiste du Trio Sōra depuis 5 ans, je dirais que les défis sont quotidiens. Nous gérons absolument par nous-mêmes, la partie musicale bien sûr, mais aussi la partie communication, administrative et financière de notre association, la face cachée de l'iceberg. Nous sommes de véritables couteaux suisses et cela nous oblige à rééquilibrer constamment nos capacités. 

Avec l'enregistrement des trios de Beethoven, le grand défi était de s'approprier sa musique et de briser le cliché du caractère toujours grincheux, gênant, antipathique et capricieux. Nous avons étudié ses partitions, lu sa correspondance, parlé à des spécialistes (notamment le Beethoven Haut de Bonn), et à partir de tout ce travail de recherche, nous avons essayé de rendre sa musique plus dynamique, plus lumineuse, de montrer son côté aimant et passionné. 

Parlez-nous de votre studio/espace de travail, s'il vous plaît. Quels ont été les critères d'aménagement et comment cet environnement influence-t-il le processus de création ? Quelle est l'importance relative de facteurs tels que l'humeur, l'ergonomie, l'haptique et la technologie pour vous ? 

Nous avons la chance de pouvoir travailler dans un environnement exceptionnel à Paris : nous sommes en résidence à la Fondation Singer Polignac, dans le 16ème arrondissement. Il s'agit d'une fondation qui offre aux musiciens des lieux de travail au cœur de Paris. L'entrée dans cette Fondation se fait sur la base d'une lettre de recommandation des Artistes Associés et d'un dossier. Nous pouvons y travailler tous les jours de 9h30 à 18h30, nous avons accès à de beaux pianos à queue et à de très belles salles de travail, il y a aussi un très beau jardin et un espace pour le déjeuner. 

C'est un environnement idéal pour travailler dans les meilleures conditions possibles, et cela facilite grandement nos répétitions. Comme notre profession fait de nous de grands voyageurs, il est important pour nous d'avoir une stabilité lorsque nous sommes à Paris. 

Parlez-moi de votre instrument, s'il vous plaît. Comment était votre premier instrument et comment avez-vous progressé jusqu'à votre instrument actuel ? Comment décririez-vous votre relation avec lui ? Quelles sont ses qualités les plus importantes et comment influencent-elles les résultats musicaux, y compris votre propre performance ? 

Angèle : Au début, j'avais déjà un violoncelle 3/4 car à 7 ans, j'étais aussi grande qu'une fille de 12 ans. Je n'ai donc jamais connu les plus beaux petits violoncelles ! Quand j'ai commencé, j'ai été surprise par sa taille : je m'attendais à quelque chose qui ressemble plus à la taille d'un violon ! Mais quand j'ai joué les premiers pizzicati, quand j'ai senti les premières vibrations de l'instrument, j'ai tout de suite su qu'il ferait partie de ma vie pour toujours ! 

En grandissant, j'ai eu de plus en plus d'instruments performants et je me souviendrai toujours de deux grandes étapes de ma vie de violoncelliste : 

La première, lorsque j'ai obtenu mon premier violoncelle moderne en 2011 pour l'audition du CNSMDP. Par pur hasard, j'ai rencontré un luthier un mois avant l'audition, et j'ai essayé son nouveau violoncelle. Tout sonnait directement et facilement beau, j'ai été tellement impressionné par la qualité du son, l'instrument répondait exactement comme je le voulais, si c'était incroyable. Donc, même si tous mes professeurs m'ont dit de ne pas changer d'instrument un mois avant l'audition, je l'ai fait ! Et mon audition a été un succès :) 
La deuxième, quand j'ai rencontré le violoncelle dont je joue maintenant. C'était l'expérience inverse ! Au début, je ne comprenais pas comment jouer de ce violoncelle de 250 ans. Je n'arrivais pas à en tirer un son agréable ! Puis j'ai réalisé que c'était m'apprendre à en jouer, que je ne pouvais pas en jouer comme je l'ai toujours fait... c'est alors que j'ai découvert la puissance des vieux instruments italiens, la profondeur du son et les différents timbres. Une expérience que je n'avais jamais imaginée auparavant ! 

Clémence : J'ai commencé à jouer du violon à l'âge de quatre ans, donc j'avais un tout petit violon, ce qu'on appelle un dixième de violon. En grandissant, je changeais de violon tous les deux ans environ, jusqu'à ce que j'aie un violon de taille normale vers l'âge de dix ans. Je jouais sur plusieurs instruments différents : mon professeur m'avait prêté le sien pendant plusieurs années, puis j'ai finalement obtenu un très beau violon italien (avec un dos du luthier Amati) à l'âge de 18 ans. Ce violon n'avait pas été joué depuis plusieurs années et le son était comme "rouillé", mais j'ai appris à développer le son et la puissance de cet instrument, nous avons en quelque sorte évolué ensemble. Cet instrument est devenu comme une extension de moi-même : Je travaille beaucoup sur mon instrument, et en y passant des heures chaque jour, il est devenu une partie de moi. Le son chaud et intime de ce violon est devenu mon son, ma "voix". 

En rejoignant le Trio, j'ai eu la chance d'être soutenu par la Fondation Boubo-Music, qui me prête aujourd'hui un violon de Joseph Baptista Guadagnini de 1777. C'est un violon d'une tessiture plus élevée que celui que j'avais. La sonorité profonde, la précision et la capacité de projection sont un avantage certain sur scène et dans l'équilibre du Trio. Cet instrument que je joue depuis un an et demi a aussi ses spécificités et ses caprices, il n'est pas toujours facile de jouer sur de tels instruments, et il faut adapter sa technique en conséquence. 

Pourriez-vous nous raconter une journée de votre vie, d'une éventuelle routine matinale à votre travail ? Avez-vous un horaire fixe ? Comment la musique et les autres aspects de votre vie se nourrissent-ils les uns les autres - les séparez-vous ou essayez-vous plutôt de les faire se fondre harmonieusement ? 

Pauline : Quand nous sommes à Paris, il y a trois types de journées de travail. 
Le jour où nous nous réunissons à l'ouverture de la Fondation pour travailler ensemble du matin au soir ; le jour où chacun travaille sur son instrument le matin avant de se réunir en début d'après-midi jusqu'à la fermeture de la Fondation ; et le jour où la matinée est réservée au travail administratif de chacun. Nous avons des tâches bien définies qui prennent toutes beaucoup de temps, et nous n'avons malheureusement pas le luxe de pouvoir nous consacrer uniquement à la musique, qui reste le cœur de notre métier. 

Je pense que l'inspiration musicale est présente partout : dans les sensations que nous éprouvons lorsque nous dégustons un plat ou un vin, dans un livre, une pièce de théâtre, un film, un tableau, la couleur du ciel, un paysage ... Tout est lié, tout est nourri par tout. 

Pourriez-vous décrire votre processus de création à partir d'un morceau ou d'un album qui vous est particulièrement cher ? D'où viennent les idées, comment ont-elles été transformées dans votre esprit, par quoi avez-vous commencé et comment affinez-vous ces débuts pour en faire l'œuvre d'art finie ? 

Clémence : Une pièce où notre processus de création a été très intense est le magnifique mouvement lent du Trio "A L'archiduc" opus 97. 

Nous sommes partis comme toujours du texte, de la partition, dans notre processus créatif. Nous commençons par une lecture harmonique de la pièce, car l'harmonie elle-même est porteuse de messages, elle donne un chemin, une architecture dans l'interprétation. 

Puis vient un processus émotionnel : comment nous ressentons un ton particulier, comment une séquence harmonique particulière peut générer une émotion spécifique, comment nous allons colorer et mettre en valeur un aspect de l'écriture ... Ce travail est passionnant et nous devons souvent puiser dans nos expériences et souvenirs les plus intimes pour trouver la manière la plus convaincante de nous exprimer. Nous avons aussi très souvent recours à des images, des métaphores ou même des gestes pour définir entre nous des émotions difficiles à expliquer avec des mots, surtout dans une musique aussi profonde que ce mouvement lent. Vient ensuite la réalisation technique de nos idées. Cette réalisation se fait aussi à travers le corps, son ressenti, et notre contact avec l'instrument, donc c'est aussi un travail émotionnel. 

Comme un puzzle, nous créons ainsi un cheminement d'idées et de sentiments qui révèle progressivement notre interprétation, notre son, qui est le résultat d'un processus de création très personnel. Au fil du temps, le message que nous voulons transmettre à travers cette musique, même s'il n'est jamais "fini" ou définitif, devient clair pour nous : nous enregistrons alors la musique de manière à transmettre notre message, notre histoire, à nos auditeurs. 

Il existe de nombreuses descriptions de l'état d'esprit idéal pour être créatif. Quel est cet état d'esprit pour vous ? Qu'est-ce qui soutient cet état d'esprit idéal et quelles sont les distractions ? Existe-t-il des stratégies pour entrer plus facilement dans cet état ? 

Clémence : L'état d'esprit propice à la créativité est, selon nous, quelque chose de très personnel qui dépend de chaque individu. Mais en tant que groupe de musique de chambre, la créativité est quelque chose de fabuleux et de très puissant lorsqu'elle est collective. Quand nos esprits sont connectés les uns aux autres, quand nous pouvons sentir les respirations, les émotions et les intentions de chacun, c'est une écoute commune, une conscience commune du temps et de l'espace qui se produit. La musique devient alors organique, et la créativité prend son envol. 

Il n'y a pas de stratégie en tant que telle, c'est plutôt une concentration extrême et en même temps un lâcher prise qui nous permet d'atteindre cet état d'esprit. 
Cet état d'esprit que l'on pourrait qualifier d'"idéal" est à la fois évident et difficile à atteindre. Plusieurs obstacles peuvent nous empêcher de l'atteindre : l'autocritique, le manque de confiance en soi, la volonté de contrôler ou de dominer en jouant sont des "distractions", ou plutôt des pollutions de l'esprit qui empêchent la créativité. 

Comment utilisez-vous la technologie ? En ce qui concerne le mécanisme de rétroaction entre la technologie et la créativité, à quoi les humains excellent-ils, à quoi les machines excellent-elles ? 

Les nouvelles technologies et l'Internet ont révolutionné le monde de la musique, tant dans la façon dont les gens écoutent la musique que dans la façon dont nous la produisons, et cela grâce à l'enregistrement. Aujourd'hui, les microphones modernes, très précis, captent le moindre bruit et la moindre imperfection, et en même temps, les techniques de montage audio nous permettent de construire un morceau note par note, seconde par seconde sans qu'il soit entendu. Par conséquent, nous ne tolérons plus la moindre imperfection, la moindre erreur, tout tend à être lissé et aseptisé. 

Les machines excellent en précision, la qualité du son est exceptionnelle, et la possibilité d'effacer les défauts est infinie, on peut même créer une acoustique inexistante ! C'est donc un outil formidable. Mais nous pensons que la créativité, l'impulsion musicale au prix de quelques défauts est beaucoup plus importante que la perfection que nous offre la technologie. Pour notre triple album, nous avons fait le montage nous-mêmes avec notre ingénieur du son. Nous avons choisi d'écouter toutes les prises, et nous avons privilégié l'audace, l'authenticité, la beauté du sentiment et de la phrase musicale au prix de quelques imperfections peut-être. 

Malgré toutes les inventions humaines possibles et inimaginables, aucune machine ne pourra jamais remplacer le musicien, qui par nature est imparfait, aucune machine ne pourra jamais concevoir l'insaisissable musique.

Les collaborations peuvent prendre de nombreuses formes. Quel rôle jouent-elles dans votre approche et quels sont vos moyens préférés de vous engager avec d'autres créatifs en jouant ensemble ou en parlant simplement d'idées ? 

Il existe en effet différents types de collaboration : les master classes, le partage de la scène avec d'autres musiciens ou simplement la rencontre avec d'autres musiciens sont autant d'expériences précieuses et indispensables. 

Nous avons eu la chance de jouer et de travailler avec de grands artistes tels que Sir Andras Schiff, Menahem Pressler, Mathieu Herzog, le Quatuor Artemis, le Quatuor Ebene ... La rencontre avec de tels artistes est très inspirante, tant par ce que la personne et ses connaissances ont à nous transmettre sur une partition, que par leur sensibilité et leur vision de la musique. Parfois, leurs opinions sont en totale contradiction avec notre propre interprétation, mais c'est précisément ce qui nous permet de mettre les choses en perspective, de nous remettre en question et de faire des choix. Travailler sur les trios de Beethoven avec Sir Andras Schiff, par exemple, a été une expérience très particulière. Même si nous n'avons pas appliqué toutes ses suggestions et idées, cela nous a permis d'approfondir considérablement nos réflexions et, surtout, d'aiguiser nos oreilles. C'est comme si un nouveau monde sonore s'ouvrait à nous. 

Partager la scène avec quelqu'un est tout aussi intéressant : ressentir l'énergie d'un autre, toute l'expérience, est comme le souvenir d'un concert exceptionnel. 

Comment la préparation de la musique, sa diffusion en direct et son enregistrement pour un album sont-ils liés ? Que réalisez-vous et que tirez-vous personnellement de chaque expérience ? Comment voyez-vous la relation entre l'improvisation et la composition à cet égard ? 

"Préparer" la musique, la jouer en concert et ensuite l'enregistrer sont les trois étapes essentielles du processus de réalisation d'un album. Tout d'abord, nous répétons quotidiennement pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, sur les morceaux que nous enregistrons. Il est essentiel d'avoir une connaissance aussi parfaite que possible du texte en analysant la partition, puis une maîtrise technique et musicale qui nous permet d'enregistrer la musique dans les meilleures conditions possibles. 

Nous avons ensuite beaucoup joué les Trios de Beethoven en concert avant de les enregistrer : l'expérience de la scène et du public nous permet de découvrir d'autres facettes de la musique et fait également évoluer nos interprétations. Les concerts sont aussi un moment de créativité, où, sur un coup de tête, nous expérimentons de nouvelles idées et émotions sur les morceaux que nous jouons. En ce sens, nous voyons une relation claire entre l'improvisation et la composition. La musique que nous jouons est écrite, elle ne laisse donc aucune place à l'improvisation. Mais l'interprétation, et ses possibilités, sont infinies. Nous ne jouons jamais deux fois exactement de la même manière et l'expérience de jouer plusieurs fois les mêmes trios en concert nous a montré à quel point les possibilités de création et d'improvisation sont innombrables. C'est ce qui rend notre musique vivante et moderne. 

L'enregistrement ne nécessite qu'une seule version, celle qui sera gravée sur le disque et qui restera comme "notre version", mais souvent nous expérimentons pendant nos sessions d'enregistrement plusieurs versions différentes d'une phrase musicale que nous choisissons ensuite lors du processus de montage. C'est comme un voyage où plusieurs chemins s'ouvrent à nous mais nous ramènent à la même destination. 

Comment voyez-vous la relation entre les aspects "sonores" de la musique et les aspects "composition" et "interprétation" ? Comment travaillez-vous avec le son et le timbre ? 

Dans notre travail, nous commençons toujours par une analyse approfondie du texte. Nous analysons la forme de chaque mouvement, les carrés, mais aussi l'harmonie : les tonalités les plus importantes, les modulations (quand on passe d'une tonalité à l'autre), les couleurs et les fonctions de chaque accord. Tout ce travail, en amont du travail instrumental, nous permet de guider toute notre interprétation musicale. 

Dans une phrase musicale, nous saurons vers quelle mesure nous diriger et pourquoi, nous saurons quel timbre utiliser sur un accord spécifique et pourquoi, nous saurons quelle note mettre en valeur, quel équilibre utiliser etc... et ce, à petite comme à grande échelle grâce à l'analyse de la forme et des indispensables carrés : en partant du plus grand au plus petit, comme un travail archéologique de la partition, nous analysons la forme et les carrés d'un mouvement, d'un développement, d'un pont ou d'une phrase. 

Ce travail, que nous complétons par une recherche biographique pour chaque compositeur, nous guidera ainsi directement dans l'utilisation du son, du timbre et des couleurs que nous souhaitons utiliser. 

Nous travaillons quotidiennement pour que ces couleurs sonores soient réalisées de manière très homogène à trois, comme le travail d'un quatuor à cordes. 


Notre sens de l'audition partage des liens intrigants avec d'autres sens. D'après votre expérience, quels sont les recoupements les plus inspirants entre les différents sens - et que nous apprennent-ils sur la façon dont nos sens fonctionnent ? Qu'arrive-t-il au son à ses frontières les plus éloignées ? 

Clémence : En effet, l'ouïe va très souvent réveiller d'autres de nos sens, comme la vue ou le toucher. 

L'une des intersections les plus fréquentes entre les sens est la synesthésie, c'est-à-dire la correspondance entre un son et une couleur. Lors de nos répétitions, nous travaillons beaucoup sur la "couleur" des sons. L'opposition de la lumière et de l'ombre est également quelque chose que nous pouvons tous visualiser, et qui peut être illustré par le son avec nos instruments. Il s'agit donc d'un croisement entre la vue et l'ouïe. La visualisation d'images sur certains motifs ou phrases musicales est également un outil expressif puissant, et un processus tout à fait naturel : lorsque nous écoutons de la musique, nous plongeons parfois dans nos souvenirs, et la musique génère des images dans notre cerveau. Cette correspondance entre le son et les images est fascinante car elle est spécifique à chacun d'entre nous : nous allons visualiser des choses très différentes sur une même mélodie, car nos sens sont étroitement liés à notre mémoire et donc à nos émotions. 

Ce processus est précieux pour nous, artistes : c'est une source d'inspiration personnelle et unique. 

De nos expériences, nous avons ressenti d'autres chevauchements mais peut-être moins évidents : la correspondance entre le son et le toucher par exemple. Un son peut en effet donner une sensation de douceur, de dureté, voire de piquant. C'est une notion abstraite et purement personnelle, mais que nous ressentons fortement. Parce que le son est une chose réelle, ses vibrations sont captées par notre corps, et c'est pourquoi nous pensons qu'un concert en direct est une expérience irremplaçable. 
Une grande partie de la puissance de la musique provient de ces intersections infinies entre l'ouïe et nos autres sens. Certains peuvent trouver la musique "douce" par exemple, et certains musiciens peuvent associer un vin à la musique. 
Cela nous montre l'incroyable pouvoir du son sur notre psyché, et pourquoi les gens du monde entier ont toujours joué de la musique, parce que la musique va bien au-delà des sons. 

L'art peut être un but en soi, mais il peut aussi se répercuter directement sur la vie quotidienne, jouer un rôle social et politique et conduire à un plus grand engagement. Pouvez-vous décrire votre approche de l'art et de la vie d'artiste ? 

Il est très important pour nous de donner des concerts traditionnels mais aussi d'avoir des échanges avec des publics divers et de leur faire découvrir le monde de la musique dans lequel nous sommes plongés : nous avons pu travailler avec des enfants du programme DEMOS (équivalent en France d'El Sistema), nous avons organisé des concerts pour les migrants syriens avec l'association Emmaüs Solidarité, nous préparons des projets avec l'association Aurore qui aide les sans-abri, et nous travaillons avec l'organisation internationale Middle-East Children Institute pour un projet avec des enfants dans les écoles du Moyen-Orient où nous allons passer 4 semaines à créer un projet du début à la fin avec la population locale. De la gestion de la billetterie à la création de décors, en passant par la création d'instruments, nous allons les rassembler en créant un spectacle musical et leur donner l'autonomie culturelle dont ils ont besoin pour leur vie quotidienne ! 

Il est remarquable, d'une certaine manière, que nous soyons arrivés au XXIe siècle avec le concept de base de la musique et du spectacle encore intact. Avez-vous une vision de la musique et du spectacle, une idée de ce qu'ils pourraient être au-delà de leur forme actuelle ? 

Angèle : Je crois de plus en plus que nous devrions mettre en scène différents arts ; des concerts avec des peintures, des concerts avec des danseurs, des chanteurs, et essayer de faire vivre au public plus "d'expérience" qu'un concert traditionnel. C'est ce que nous avons essayé de faire avec un projet de tango au Festival d'Aix-en-Provence où nous étions sur scène avec une danseuse de tango et une danseuse contemporaine, et nous avons interprété du tango traditionnel mélangé à de la musique Kagel contemporaine inspirée de la musique argentine ; nous avons également construit un concert avec différents styles de musique, de la musique classique avec Mozart et Haendel, et des chansons traditionnelles algériennes avec le chanteur Sofiane Saidi. 

Nous devrions également réfléchir davantage à la manière traditionnelle de nous positionner physiquement : pourquoi le public s'asseyait-il toujours devant les musiciens ? Ne devrions-nous pas imaginer des expériences où nous avons un concert "itinérant" dans une salle, où les musiciens, les chanteurs, pourraient être dans le public, où le public pourrait être sur scène ? Nous avons assisté à un tel concert lors de la Folle Journée de Nantes 2017. Les percussionnistes jouaient Steve Reich, un concert traditionnel au début ... soudain, des danseurs cachés dans le public ont commencé à faire de petits mouvements. De plus en plus de danseurs, de plus en plus de mouvements, à la fin toute la salle dansait, allant de la scène à l'escalier, c'était inoubliable ! 

Veuillez recommander à nos lecteurs deux œuvres d'art (livre, peinture, morceau de musique) qu'ils devraient connaître. 

Clémence : Si je peux recommander deux œuvres d'art, je choisirais le recueil de poèmes de Victor Hugo "Les Contemplations" et le Trio Opus 97 de Beethoven "A l'Archiduc". Ce n'est peut-être pas très original, ces deux œuvres d'art étant des classiques, mais je ne cesse de m'émerveiller et de découvrir de nouvelles dimensions dans ces œuvres universelles et intemporelles. 

La recueil "Les Contemplations" est très riche, très dense, c'est le grand chef-d'œuvre de la poésie romantique française. Victor Hugo y raconte sa propre vie, ses souvenirs, ses amours et ses joies, puis le deuil de sa fille Léopoldine, son désespoir et sa relation avec Dieu. Alors que Victor Hugo exprime ses propres sentiments et les idées religieuses et politiques de son temps, l'écriture simple, qui va à l'essentiel, permet au lecteur de s'identifier à ses émotions, de les partager et d'y projeter sa propre vie. Car à travers ces poèmes, c'est l'âme humaine qui parle, ce qui est universel. 
Le Trio "A l'archiduc" est le dernier Trio écrit par Beethoven, c'est le couronnement du genre. Jamais auparavant un trio n'avait atteint une telle dimension symphonique, une telle virtuosité et un tel lyrisme. Beethoven fait chanter le piano et marie à la perfection les timbres des trois instruments. On retrouve tout ce qui fait de Beethoven un grand génie musical : son humour, sa passion, une audace et une modernité qui rendent l'œuvre intemporelle, et un immense amour pour la nature et l'humanité. 

Angèle : J'ai récemment découvert dans l'exposition à la Philharmonie de Paris "Les musiques de Pablo Picasso" 2 de ses pièces étonnantes : le masque "le chanteur aveugle", et le tableau "homme à la flûte et à l'enfant". 

Pauline : Il est toujours difficile de devoir choisir un nombre aussi limité d'œuvres d'art ! La première qui me vient à l'esprit est la Sagrada Familia de Barcelone. Ce n'est ni un livre, ni une œuvre musicale, ni un tableau, mais pour moi c'est un véritable chef-d'œuvre. Je suis athée, mais l'émotion qui m'envahit lorsque j'entre dans cette cathédrale dépasse toute forme de croyance. La richesse architecturale, les vitraux, l'immensité de la nef, tous ces détails me laissent sans voix. Et que dire des rayons de lumière qui traversent la cathédrale à travers les vitraux colorés, c'est tout simplement magnifique ! 

Le livre que je vous recommande aujourd'hui serait Le Petit Prince d'Antoine de Saint Exupéry, c'est un de mes livres préférés. C'est un livre universel, destiné aux enfants et aux adultes. Sous la forme d'un conte pour enfants, c'est une œuvre poétique et philosophique puissante."

Pour voir l'article en ligne : le blog 15 questions

"When did you start playing your instrument, and what or who were your early passions and influences? What was it about music and/or sound that drew you to it? 

Angèle: I started playing when I was 7 years old. I grew up in a family of artists: parents were singers, brother was a ballet dancer. So I built my sound between vocal influences with my parents, body feeling music with my brother, while admiring Rostropovitch and Yo-Yo Ma! 

Clémence: I started the violin very young, and at that time I was not particularly sensitive to music. Love at first sight came later with opera, and especially Mozart's Magic Flute. Opera soon became a passion for me and a major source of inspiration. I understood then that with the violin it was possible to reproduce the human voice, with its inflections, that everyone had their own timbre and that I could develop my own. The sound of an instrumentalist is perhaps the most important thing, like the voice of a singer, and it often reflects our personality. I have seen through my friends and colleagues how we play the way we are, our sound and our playing is a reflection of who we are, it is fascinating. And that is probably the case for me as well. 

Pauline: I started learning the piano when I was 3 years old, my parents listened to a lot of classical music, and my mother was also learning the piano, so I was intrigued by this instrument from the beginning. For as long as I can remember, I've always wanted to play the piano, it's my first passion. But I don't remember what attracted me, I was too young … 

For most artists, originality is first preceded by a phase of learning and, often, emulating others. What was this like for you? How would you describe your own development as an artist and the transition towards your own voice? What is the the relationship between copying, learning and your own creativity? 

Pauline: As a child, I was first rocked by music, and more particularly by classical music, which my parents listened to a lot. I grew up surrounded by Bach, Chopin, Schubert, Beethoven, Tchaikovsky, Prokoviev, the operas of Mozart and Bizet, etc ... Many of the great classics, which, as I grew up, made me want to seek out lesser-known repertoire as well. It was a first form of learning. 

I started piano very early, at the age of 3. Concerning the learning of the piano itself, I have a very classical course: private teacher from 3 to 7 years old, then a course of study in flexible hours from elementary school to high school (school in the morning, lessons at the conservatory in the afternoon) in Tours. I then went to the regional conservatory of Saint-Maur-des-Fossés to prepare for the entrance exam to the Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, where I entered 2 years later. There I took a lot of lessons: piano (in Denis Pascal's class), keyboard harmony, analysis, deciphering and accompaniment, Alexander Technique ... A whole range of knowledge to deepen the practice of music and piano. 

I think that when you start an instrument at a very young age, like all learning at that age, you go through a phase of "copying": learning by imitation is very widespread, and it works very well with the youngest. 

As you learn, you naturally develop your own musical vision, very often influenced by the performers you like and the teachers you have studied with, but each personality being different, the interpretation becomes more personal, depending naturally on how you approach a work. 

What were some of your main artistic challenges when starting out as an artist and in which way have they changed over the years? 

Pauline: Challenges are constantly present in our profession: from a very young age, if you want to enter a conservatory, you have to pass a competitive exam, then exams at the end of each year, coupled with a ranking of students for each discipline and each level. For my part, the first challenge that really marked me was to succeed in entering the National Conservatory of Music and Dance in Paris: wanting to become a professional pianist has been my goal for many years. The first time I tried this competition, I was too young and clearly didn't have the required level. The second time, I made the second round of the competition, and I missed my performance, eaten away by stress. I worked a lot on myself the following year, practicing sophrology and yoga in order to overcome my fears in this kind of circumstance. And the third time was the right one! 

Today, as a pianist of the Trio Sōra for the past 5 years, I would say that the challenges are daily. We manage absolutely by ourselves, the musical part of course, but also the communication, administrative and financial part of our association, the hidden side of the iceberg. We are true Swiss knives and this requires us to constantly rebalance our capacities. 

With the recording of Beethoven's trios, the big challenge was to appropriate his music and to break the cliché of the always grumpy, inconvenient, antipathetic and temperamental character. We studied his scores, read his correspondence, talked to specialists (notably the Beethoven Haut de Bonn), and from all this research work, we tried to make his music more dynamic, more luminous, to show his loving and passionate side. 

Tell us about your studio/work space, please. What were criteria when setting it up and how does this environment influence the creative process? How important, relatively speaking, are factors like mood, ergonomics, haptics and technology for you? 

We are fortunate to be able to work in an exceptional environment in Paris: we are in residence at the Singer Polignac Foundation, in the 16th arrondissement. This is a Foundation providing musicians with places to work in the heart of Paris. Entry into this Foundation is based on a letter of recommendation by Artists Associates and on a dossier. We can work there every day from 9:30 am to 6:30 pm, we have access to beautiful grand pianos and very nice work rooms, there is also a very nice garden and a space for lunch. 

It is an ideal environment to work in the best possible conditions, and it greatly facilitates our rehearsals. Since our profession makes us great travelers, it is important for us to have stability when we are in Paris. 

Tell me about your instrument, please. What was your first instrument like and how did you progress to your current one? How would you describe the relationship with it? What are its most important qualities and how do they influence the musical results, including your own performance? 

Angèle: In the beginning, I already had a 3/4 cello because at 7 years old I was as tall as a 12 year old girl. So I never knew the cutest little cellos! When I started, I was surprised that it was so big: I was expecting something more like the size of a violin! But when I played the first pizzicati, when I felt the first vibrations of the instrument, I knew right away that it would be part of my life forever! 

As I grew up, I had more and more performing instruments and I will always remember two great stages in my life as a cellist: 

The first, when I got my first modern cello in 2011 for the CNSMDP audition. By pure chance, I met a violin maker a month before the audition, and tried out his new cello. Everything sounded directly and easily beautiful, I was so impressed by the sound quality, the instrument responded exactly as I wanted it to, if it was incredible. So, even though all my teachers told me not to change instruments a month before the audition, I did! And my audition was a success :) 
The second, when I met the cello I play now. It was the opposite experience! At first, I didn't understand how to play this 250 year old cello. I couldn't get a pleasant sound out of it! Then I realized that it was teaching me how to play it, that I couldn't play it the way I always did ... that's when I discovered the power of old Italian instruments, the depth of sound and the different timbres. An experience I never imagined before! 

Clémence: I started playing the violin at the age of four, so I had a tiny violin, what we call a tenth of a violin. As I grew up I would change my violin about every 2 years, until I had a normal sized violin at about the age of 10. I played on several different instruments: my teacher had lent me his for several years, then I finally got a very beautiful Italian violin (with a back by the violin maker Amati) at the age of 18. This violin hadn't been played for several years and the sound was like "rusty" but I learned to develop the sound and power on this instrument, we kind of evolved together. This instrument has become like an extension of myself: I work a lot on my instrument, and by spending hours every day on it, it has become a part of me. The warm and intimate sound of this violin became my sound, my "voice". 

By joining the Trio I was fortunate to be supported by the Boubo-Music Foundation, which now lends me a violin by Joseph Baptista Guadagnini from 1777. It is a violin of a higher range than the one I had. The deep sound, the precision and the projection capacity are a definite advantage on stage and in the balance of the Trio. This instrument that I have been playing for one and a half years also has its specificities and its whims, it is not always easy to play on such instruments, and one must adapt one's technique accordingly. 

Could you take us through a day in your life, from a possible morning routine through to your work? Do you have a fixed schedule? How do music and other aspects of your life feed back into each other - do you separate them or instead try to make them blend seamlessly? 

Pauline: When we are in Paris, there are three types of working days. 

The day when we meet at the opening of the Foundation to work together from morning to evening; the day when each one works on her instrument in the morning before meeting in the early afternoon until the Foundation closes; and the day when the morning is reserved for the administrative work of each one. We have well-defined tasks that all take up a lot of time, and unfortunately we do not have the luxury of being able to devote ourselves solely to music, which remains the core of our profession. 

I think that musical inspiration is present everywhere: in the sensations we have when we taste a dish or wine, in a book, a play, a film, a painting, the color of the sky, a landscape ... Everything is connected, everything is nourished by everything. 

Could you describe your creative process on the basis of a piece or album that's particularly dear to you, please? Where did the ideas come from, how were they transformed in your mind, what did you start with and how do you refine these beginnings into the finished work of art? 

Clémence: One piece where our creative process was very intense was the magnificent slow movement of the Trio "A L'archiduc" opus 97. 

We started like always from the text, from the score, in our creative process. We start with a harmonic reading of the piece, because harmony itself carries messages, it gives a path, an architecture in the interpretation. 

Then comes an emotional process: how we feel a particular tone, how a particular harmonic sequence can generate a specific emotion, how we will colour and highlight an aspect of the writing ... This work is exciting and we often have to draw on our most intimate experiences and memories to find the most convincing way to express ourselves. We also very often resort to images, metaphors, or even gestures to define between us emotions that are difficult to explain in words, especially in music as deep as this slow movement. Then comes the technical realisation of our ideas. This realisation is also done through the body, its feeling, and our contact with the instrument, so it is also an emotional work. 

Like a jigsaw puzzle, we thus create a path of ideas and feelings that gradually reveal our interpretation, our sound, which is the result of a very personal creative process. As time goes by, the message we want to convey through this music, even if it is never "finished" or definitive, becomes clear to us: we then record the music in such a way as to convey our message, our story, to our listeners. 

There are many descriptions of the ideal state of mind for being creative. What is it like for you? What supports this ideal state of mind and what are distractions? Are there strategies to enter into this state more easily? 

Clémence: The state of mind conducive to creativity is, we believe, something very personal that depends on each individual. But as a chamber music group, creativity is something fabulous and very powerful when it is collective. When our minds connect with each other, when we can feel each other's breaths, emotions and intentions, it is a common listening, a common awareness of time and space that takes place. The music then becomes organic, and creativity takes off. 

There is no strategy as such, it is more an extreme concentration and at the same time a letting go that allows us to reach this state of mind. 
This state of mind that could be described as "ideal" is both obvious and difficult to achieve. Several obstacles can prevent us from reaching it: self-criticism, lack of confidence, willingness to control or dominate while playing are "distractions", or rather pollutions of the mind that prevent creativity. 

How do you make use of technology? In terms of the feedback mechanism between technology and creativity, what do humans excel at, what do machines excel at? 

New technologies and the internet have revolutionised the world of music, both in the way people listen to music and the way we produce it, and this is because of recording. Now modern, highly accurate microphones pick up the slightest noise and imperfection, and at the same time, audio editing techniques allow us to construct a piece note by note, second by second without it being heard. As a result, we no longer tolerate the slightest imperfection, the smallest mistake, everything tends to be smoothed and sanitised. 

The machines excel in precision, the quality of sound is exceptional, and the possibility of erasing defects is infinite, we can even create non-existent acoustics! It is therefore a great tool. But we believe that creativity, the musical impulse at the price of a few defects is much more important than the perfection that technology offers us. For our triple album we did the editing ourselves with our sound engineer. We chose to listen to all the takes, and we favoured audacity, authenticity, and the beauty of the feeling and the musical phrase at the price of perhaps a few imperfections. 

Despite all possible and unimaginable human inventions, no machine will ever be able to replace the musician, who by nature is imperfect, no machine will ever be able to conceive the elusive of music.

Collaborations can take on many forms. What role do they play in your approach and what are your preferred ways of engaging with other creatives through playing together or just talking about ideas? 

There are indeed different types of collaboration: master classes, sharing the stage with other musicians or simply meeting other musicians are all precious and indispensable experiences. 

We have been very fortunate to play and work with great artists such as Sir Andras Schiff, Menahem Pressler, Mathieu Herzog, the Artemis Quartet, the Ebene Quartet ... The encounter with such artists is very inspiring, both what the person and their knowledge has to transmit to us on a score, and their sensitivity and vision of music. Sometimes their opinions are totally at odds with our own interpretation, but this is precisely what allows us to put things into perspective, to question ourselves and to make choices. Working on the Beethoven Trios with Sir Andras Schiff, for example, was a very special experience. Even if we didn't apply all his suggestions and ideas, it allowed us to deepen our reflections considerably and, above all, to sharpen our ears. It's like a new world of sound opening up to us. 

Sharing the stage with someone is just as interesting: feeling the energy of another, the whole experience, is like a memory of an exceptional concert. 

How is preparing music, playing it live and recording it for an album connected? What do you achieve and draw from each experience personally? How do you see the relationship between improvisation and composition in this regard? 

"Preparing" the music, playing it in concert and then recording it are the three essential steps in the process of making an album. First of all, we rehearse daily for several months or even years on the pieces we record. It is essential to have as perfect knowledge of the text as possible by analysing the score, and then a technical and musical mastery that allows us to record the music in the best possible conditions. 

We then played the Beethoven Trios a lot in concert before recording them: the experience of the stage and the audience allows us to discover other facets of the music and also makes our interpretations evolve. The concerts are also a moment of creativity, where on the spur of the moment we will experiment with new ideas and emotions about the pieces we play. In this sense, we see a clear relationship between improvisation and composition. The music we play is written, so it leaves no room for improvisation. But interpretation, and its possibilities are infinite. We never play exactly the same way twice, and the experience of playing the same trios several times in concert has shown us just how countless the possibilities for creating and improvising ideas at the time are. This is what makes our music lively and modern. 

The recording requires only one version, the one that will be burned on the disc and will remain as "our version", but often we experiment during our recording sessions with several different versions of a musical phrase that we then choose during the editing process. It's like a journey where several paths are open to us but bring us back to the same destination. 

How do you see the relationship between the 'sound' aspects of music and the 'composition' and 'performance' aspects? How do you work with sound and timbre? 

In our work, we always start with a thorough analysis of the text. We analyze the form of each movement, the squares, but also the harmony: the most important tonalities, the modulations (when switching from one key to another), the colors and functions of each chord. All this work, upstream of the instrumental work, allows us to guide all our musical interpretation. 

In a musical phrase, we will know which measure to move towards and why, we will know which timbre to use on a specific chord and why, we will know which note to emphasize, which balance to use etc ... and this, on a small as well as on a large scale thanks to the analysis of the form and the indispensable squares: starting from the largest to the smallest, like an archaeological work of the score, we analyze the form and the squares of a movement, a development, a bridge or a phrase. 

This work, which we complete with a biographical research for each composer, will thus directly guide us in the use of the sound, the timbre and the colors we wish to use. 

We work daily to make sure that these sound colors are made in a very homogeneous way with three people, just like the work of a string quartet. 

Our sense of hearing shares intriguing connections to other senses. From your experience, what are some of the most inspiring overlaps between different senses - and what do they tell us about the way our senses work? What happens to sound at its outermost borders? 

Clémence : Indeed, hearing will very often awaken other of our senses, such as sight or touch. 

One of the most frequent intersections between the senses is synesthesia, i.e. the correspondence between a sound and a color. During our rehearsals we work a lot on the "color" of sounds. The opposition of light and shadow is also something we can all visualize, and which can be illustrated with sound with our instruments. It is therefore a cross-over between sight and hearing. The visualization of images on certain motives or musical phrases is also a powerful expressive tool, and a completely natural process: when we listen to music, we sometimes plunge into our memories, and music generates images in our brain. This correspondence between sound and images is fascinating because it is specific to each of us: we will visualize very different things on the same melody, because our senses are closely linked to our memory and therefore to our emotions. 

This process is precious for us artists: it is a personal and unique source of inspiration. 

From our experiences we have felt other overlaps but perhaps less obvious: the correspondence between sound and touch for example. A sound can indeed give a feeling of softness, hardness, or even pungency. It is an abstract and purely personal notion, but one that we feel strongly. Because sound is a real thing, its vibrations are captured by our bodies, and that is why we think that a live concert is an irreplaceable experience. 
Much of the power of music comes from these infinite intersections between hearing and our other senses. Some may find music "sweet" for example, and some musicians can match a wine to music. 
This shows us the incredible power of sound on our psyche, and why people all over the world have always played music, because music goes far beyond sounds. 

Art can be a purpose in its own right, but it can also directly feed back into everyday life, take on a social and political role and lead to more engagement. Can you describe your approach to art and being an artist? 

It is very important for us to perform traditional concerts but also to have exchanges with diverse audiences and to make them discover the world of music in which we are immersed: we have been able to work with children from the DEMOS program (equivalent in France of El Sistema), we have organized concerts for Syrian migrants with the association Emmaüs Solidarité, we are planning projects with the association Aurore which helps the homeless, and we are working with the international organization Middle-East Children Institute for a project with children in schools in the Middle East where we will spend 4 weeks creating a project from start to finish with the local population. From the management of the ticket office to the creation of scenery, through the creation of instruments, we will bring them together by creating a musical show and give them the cultural autonomy they need for their daily life! 

It is remarkable, in a way, that we have arrived in the 21st century with the basic concept of music and performance still intact. Do you have a vision of music and performance, an idea of what they could be beyond their current form? 

Angèle: I believe more and more that we should stage different arts; concerts with paintings, concerts with dancers, singers, and try to make the audience experience more "an experience" than a traditional concert. This is what we tried to do with a tango project at the Festival d'Aix-en-Provence where we were on stage with a tango dancer and a contemporary dancer, and we performed traditional tango mixed with contemporary Kagel music inspired by Argentinean music; we also built a concert with different styles of music, classical music with Mozart and Handel, and traditional Algerian songs with the singer Sofiane Saidi. 

We should also think more about the traditional way of positioning ourselves physically: why would the audience always sit in front of the musicians? Shouldn't we imagine experiences where we have a "travelling" concert in a hall, where the musicians, the singers, could be in the audience, where the audience could be on stage? We attended such a concert during the Folle Journée de Nantes 2017. The percussionists were playing Steve Reich, a traditional concert at the beginning ... suddenly, dancers hidden in the audience started to make small movements. More and more dancers, more and more movements, at the end the whole room was dancing, going from the stage to the stairs, it was unforgettable! 

Please recommend two pieces of art (book, painting, piece of music) to our readers that they should know about.

Clémence: If I can recommend two works of art, I would choose Victor Hugo's poem collection "Les Contemplations" and Beethoven's Trio Opus 97 "A l'Archiduc". It may not be very original, these two works of art being classics, but I never cease to marvel, and to discover new dimensions in these universal and timeless works. 

The collection "Les Contemplations" is very rich, very dense, it is the great masterpiece of French romantic poetry. Victor Hugo relates his own life, his memories, his loves and joys, then the mourning over the death of his daughter Leopoldine, his despair and his relationship with God. While Victor Hugo expresses his own feelings and the religious and political ideas of his time, the simple writing, which goes to the essential, allows the reader to identify with his emotions, to share them and to project his own life into them. For through these poems, it is the human soul that speaks, which is universal. 
Beethoven's Trio "To the Archduke" is the last Trio written by Beethoven, it is the crowning achievement of the genre. Never before had a trio reached such a symphonic dimension, such virtuosity, and such lyricism. Beethoven makes the piano sing, and marries the timbres of the three instruments to perfection. We find all that makes Beethoven a great musical genius: his humor, his passion, an audacity and modernity that make the work timeless, and an immense love for nature and humanity. 

Angèle: I recently discovered in the exhibition at the Philharmonie de Paris " Les musiques de Pablo Picasso " 2 amazing pieces of his: the mask " le chanteur aveugle ", and the painting " homme à la flûte et à l'enfant " (man with flute and child). 

Pauline: It is always difficult to have to choose such a limited number of works of art! The first one that comes to mind is the Sagrada Familia in Barcelona. It is neither a book, nor a musical work, nor a painting, but for me it is a real masterpiece. I am an atheist, but the emotion that overwhelms me when I enter this cathedral is beyond any form of belief. The architectural richness, the stained glass windows, the immensity of the nave, all these details leave me speechless. And what can I say about the rays of light coming through the cathedral through the coloured stained glass windows, it is simply magnificent! 

The book I would recommend today would be Le Petit Prince by Antoine de Saint Exupéry, it is one of my favourite books. It is a universal book, intended for both children and adults. Under the guise of a children's tale, it is a powerful poetic and philosophical work. "

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