C’est une décision très courageuse que de présenter les six trios avec piano de Beethoven comme premier album. Car il existe de nombreux enregistrements exceptionnels. Les enregistrements des légendaires formations en trio Cortot-Thibaut-Casals ou Rubinstein-Heifetz-Feuermann n'ont rien perdu de leur attrait à ce jour, même si ces trios n'ont pas enregistré "les six". Le Trio des Beaux-Arts mérite également une recommandation.

En tout cas, le courage des trois jeunes femmes françaises du Trio Sōra a porté ses fruits. Notre attention est captée dès les première secondes du Trio en mi bémol majeur, op. 1, n° 1 de Beethoven. Ce morceau, même chez des ensembles de renoms, n’est que très rarement aussi musical que sur cet album, avec une crépitante tension sous-jacente. On est parfois surpris de l’approche aux accents rustiques et rudes des musiciennes surtout dans les premiers trios composés. Mais tout est dans un équilibre soigneusement étudié. Chaque musicienne connaît les détails de la structure et de la composition, et ensemble elles arrivent à les faire briller avec une clarté et une musicalité si rarement entendues.

L'enregistrement récent de quelques trios de Beethoven avec les frères Capuçon et Frank Braley était parfait mais fastidieux. Ici, le trio Sōra a du caractère. Il explore le son des mystérieux mouvements lents non seulement dans le Trio "Les Esprits"  mais aussi dans le Trio en sol majeur, op. 1 n° 2. Chaque voix sait quand prendre du recul car la composition "dit" à une autre de mener. Les voix opposées se cristallisent au moment où elles deviennent importantes, les musiciennes s"échangent la "balle musicale" avec compréhension et sensibilité. Chaque seconde des six trios est un événement. Rarement le dernier mouvement du "Trio de l'archiduc" de Beethoven a été entendu avec une agogie aussi charmante, aussi rebondissante et impertinente, avec un tempo retenu et pourtant débordant de tension. Un grandiose premier album !

Elisabeth Richter